28 décembre 1914
Cher journal,
Noël fut vraiment étrange… Quand la guerre a commencé en Europe, les gens pensaient qu’elle ne durerait que quelques mois. Malheureusement, ceux d’entre nous qui ont suivi les événements de près savaient dès le départ qu’il n’en serait rien. Cet hiver, j’ai vu l’esprit des fêtes déserter le cœur des Canadiens, en particulier de mes compatriotes canadiens-français qui ne souhaitaient pas participer à une guerre menée par et au nom de l’Angleterre. À l’approche des congés, les gens ont revêtu un masque de circonstance, feignant la bonne humeur. Tous réalisaient en effet que « guerre » rime avec « rationnement ». De mon côté, j’ai tricoté une paire de chaussettes pour mon père et un nouveau châle pour ma mère. Dès la nouvelle année, je retournerai à l’école pour poursuivre mes études en journalisme. J’espère suivre les traces de mon héroïne, Kit Coleman, la première femme à avoir obtenu sa propre rubrique dans un journal.
Britanniques et Allemands, Noël 1914, droits réservés. Vidéo extraite d’Apocalypse 10 Destins.
En parlant de journalistes, je lis attentivement les articles de Dim Seed, reporter au World Chronicle. Son écriture est à la fois lyrique et réfléchie, et je sens qu’il est passionné par son métier. Pas plus tard qu’hier, justement, je lisais son article sur ce qui est maintenant connu comme la « trêve de Noël ». Il semble que, sur tout le front occidental, les deux camps ennemis aient convenu de suspendre les combats ; certains se sont même rencontrés en terrain neutre (le no man’s land) pour échanger des cadeaux. Je voudrais tellement être dans les tranchées avec nos troupes, tout comme M. Seed, et voir par moi-même la réalité de la guerre !
Dans le cadre de mes études, je répertorie les journaux français qui traitent de la guerre en confrontant les faits qu’ils décrivent dans leurs articles avec ceux que rapportent nos propres journalistes. Il semble bien que les Français embellissent la situation. En réalité, la censure est parfois telle que la moitié des pages sont vides. Je n’admettrais jamais cela en public, mais je crois que les rédacteurs en chef canadiens aussi modifient fréquemment les articles dans nos journaux de manière à donner un éclairage plus positif des combats. Je pense que beaucoup de Canadiens seront choqués quand ils entendront parler des véritables conditions qui règnent outre-mer.
Dans quelques jours, nous serons en 1915. C’est fou comme les choses ont changé en seulement un an. Mon cœur est plein de conflits, mais je suis résolue à être une combattante des faits et de la vérité. Peut-être cette nouvelle année m’apportera-t-elle la possibilité de contribuer à la documentation de cette guerre. Et avec le nombre de journalistes hommes qui traversent l’Atlantique pour rejoindre le front, un poste pourrait se libérer pour moi, qui sait ? Ce serait à la fois un grand honneur et une grande responsabilité de pouvoir écrire et partager mes articles avec le public. Bien sûr, il va sans dire que je préférerais une fin rapide du conflit plutôt qu’un avancement de carrière…
À la prochaine.
Rose