Cher journal,
Je ne pourrais être plus fière de nos bons soldats canadiens, ni plus indignée contre les Allemands. D’après les dépêches qui nous arrivent de l’autre côté de l’océan, il semble de plus en plus évident que ces derniers utilisent du gaz toxique contre les Alliés sur le front occidental. Devant cette tactique épouvantable, je veux croire que les Alliés redoubleront de détermination pour repousser l’ennemi une fois pour toutes. Ces tristes nouvelles assombrissent une journée qui devrait plutôt être empreinte de fierté pour notre noble pays. En effet, pour la première fois, nos troupes participent à une grande bataille, dans et autour de la ville d’Ypres, en Belgique. Nous sommes peut-être un dominion, mais nous sommes aussi une jeune nation dynamique qui contribue à combattre l’armée allemande et à rétablir la paix en Europe.
Ce n’est pas la première fois, il me semble, que les Allemands enfreignent les règles de la guerre. Leur stratégie d’attaque est autant psychologique que tactique. L’année dernière, ils ont bombardé la belle basilique de Reims, en France. Dans nos archives, j’ai trouvé un article du journal Le Matin qui décrit ce sombre épisode. Détruire une maison du Seigneur, enlever aux gens un lieu de rassemblement et de prière montre à quel point ils sont insensibles. Comment cela a-t-il pu se produire ? Comment un pays tout entier a-t-il pu perdre contact avec son humanité ? Je sais que l’hostilité entre la France et l’Allemagne remonte au moins au temps de la guerre franco-prussienne. Les blessures profondes guérissent lentement, je suppose.
Pour moi, l’aspect le plus dur de ce conflit est l’impact qu’il a sur les enfants. Alors qu’il couvrait les combats à la frontière entre la France et la Belgique, un de nos journalistes a rencontré Margot, une fillette dotée d’un incroyable talent artistique qui lui a donné une de ses esquisses. Dans quel monde vivons-nous pour qu’une petite fille soit capable de déterminer la nationalité d’un soldat à partir du style de son uniforme ? Quelles traces la guerre va-t-elle laisser sur cette jeune génération ? Un jour, j’espère être mère, et je prie pour que mes futurs enfants puissent grandir dans un monde en paix. J’ai besoin de croire que, une fois les Allemands vaincus, toutes ces horreurs ne se reproduiront plus.
Heureusement, une source de réconfort est arrivée de l’étranger cette semaine. J’ai reçu une lettre de Louise Masson, l’infirmière que j’ai interviewée avant son départ pour le front. Elle m’a dit s’être installée à l’hôpital du Dr Mignault. Elle est convaincue que leur travail apporte un peu de lumière dans les ténèbres du champ de bataille. Elle a eu l’occasion de rencontrer Margaret C. Macdonald, l’infirmière en chef du Service d’infirmerie de l’Armée canadienne qui a été promue major — la première femme de l’Empire britannique à avoir atteint un tel rang. Louise a joint à sa lettre un court poème d’un médecin nommé John McCrae. J’espère qu’il pourra continuer à écrire après la guerre.
À la prochaine,
Rose