24 mars 1915
Cher journal,
Je me sens emplie de gratitude aujourd’hui. À événement exceptionnel, solution exceptionnelle, et étonnamment, la guerre récente qui frappe l’Europe m’a offert une opportunité unique. La plupart des grands journaux du comté envoient leurs journalistes sur les lignes de front, et avec le nombre limité d’hommes disponibles pour pourvoir les postes vacants, j’ai été engagée comme documentaliste au journal ici, à Montréal. Je crois que mon bilinguisme et mon excellente calligraphie ont joué en ma faveur. Je serai responsable du classement du grand nombre de lettres, de photos et de reportages qui arrivent du front quotidiennement. Si tout va bien, j’aurai même la chance d’écrire mes propres articles. Ce serait l’aboutissement d’un rêve!
Je me sens particulièrement fière du chemin parcouru par mes consœurs et moi ces dernières années. Le mouvement pour le droit de vote des femmes prend de l’ampleur et la rumeur nous est favorable. Il semble que nous, les femmes, travaillons plus fort, plus rapidement et plus sérieusement que les hommes que nous remplaçons. Je crois que ce n’est plus qu’une question de temps pour que nous soyons considérées comme les égales de nos frères et maris.
L’une de mes premières responsabilités est de transcrire les entrevues faites avec des Canadiennes françaises qui voyageront vers la France en tant qu’infirmières. L’une d’elles, Louise Masson, a eu la possibilité de se joindre au Dr Arthur Mignault en France. On dit qu’il veut mettre sur pied un hôpital canadien-français près de la ligne de front dans l’est de la France. Mon cœur français s’emplit de fierté en pensant au soutien de Mme Masson et du Dr Mignault envers nos troupes dans la lutte contre l’Allemagne.
Mme Masson mentionne dans son entrevue que Marie Curie a eu une influence importante dans sa décision d’étudier la médecine et que l’idée de se joindre à l’armée sera, pour elle, une excellente occasion de mettre en pratique ses compétences. Madame Curie a mis en place une machine à rayons X mobile adaptée aux lignes de front. Cela permet à nos alliés d’évaluer rapidement et efficacement nos soldats directement sur le champ de bataille. Je suis convaincue que c’est un avantage qui va nous permettre de mettre fin à cette guerre rapidement et de revenir à une vie normale.
Je me réjouis d’avance de ce que l’avenir me réserve. Une fois la guerre finie, je serai en mesure de concentrer davantage mon attention sur le mouvement des femmes et notre lutte pour l’égalité. Je n’aurai plus à confier mes sentiments à mon journal intime, je pourrai les partager avec mes collègues et pairs librement. Le XXe siècle a déjà apporté tant de changements que je suis émerveillée à l’idée de tout ce qu’il peut advenir encore. J’ai le sentiment que mon journal intime sera bientôt plein d’histoires que je ne peux pas encore imaginer aujourd’hui.
À la prochaine fois,
Rose