21 décembre 1915
Cher journal,
Le Canada a une bonne raison d’être fier cette semaine, puisque nos hommes ont commencé à montrer leur force dans les airs. Une rumeur circule selon laquelle un pilote de chasse canadien nommé M.M. Bell-Irving a abattu un avion allemand en Europe. Je me demande si d’autres jeunes pilotes de notre armée pourront répéter cet exploit. Je souhaite que ce soit le cas, car les nouvelles du front indiquent que les aviateurs allemands ont beaucoup de succès. Ici, au pays, un homme du nom de Wallace Turnbull développe de nouvelles hélices qui pourraient améliorer nos résultats dans la guerre aérienne. J’espère sincèrement qu’il arrivera à mettre au point cette technologie à temps.
J’ai du mal à croire que nous sommes sur le point de vivre notre second Noël en guerre. En relisant ce journal, je me rappelle à quel point j’étais découragée l’année dernière. La seule chose qui me rendait positive était la perspective de faire valoir mon diplôme en journalisme. Est-ce que je voudrais la même chose aujourd’hui ? Chaque jour, de nouvelles informations nous arrivent. En parcourant les lettres et les journaux des soldats en première ligne, j’éprouve une grande gratitude envers la vie de ne pas avoir à expérimenter personnellement les horreurs de la guerre sur le terrain. Je pense par exemple à l’histoire d’un jeune soldat français, Émilien Meysenot, de qui notre journal a récemment reçu des photos.
Émilien Meysenot
Il y a un peu plus d’un an, il n’était qu’un simple agriculteur dans le sud-est de la France, et le voilà maintenant chargé de creuser des tunnels sous les postes ennemis et d’y placer de la dynamite dans l’espoir de briser leurs positions.
Archive : Soldats creusant des tunnels
Mais je ne suis pas la seule à regarder le passé et l’avenir. Dans la province du Manitoba se dessine une perspective exaltante. Au début de la nouvelle année, nous connaîtrons les résultats d’une campagne qui vise à donner aux femmes le droit de vote. Mon cher journal, ce que je vais te confier peut sembler sacrilège, mais je pourrais bien être amoureuse d’une femme. Elle s’appelle Nellie McClung et c’est une championne des droits des femmes. Elle vient de déménager du Manitoba en Alberta pour continuer la lutte. Elle me rappelle, chaque jour, que JE SUIS UNE PERSONNE, un être humain avec des droits, des opinions et des croyances réfléchies. Peut-être cette guerre aidera-t-elle le monde à réaliser combien la moitié féminine de la population est précieuse pour les succès quotidiens de notre société.
Cher journal, comme cette année touche à sa fin, j’ai commencé à penser à la prochaine. Comment puis-je mieux contribuer à la guerre ? Je suis toujours ravie de participer activement au quatrième pouvoir, de rendre compte des actions de nos dirigeants et de présenter les faits à nos lecteurs. Mais je m’interroge… J’ai lu des articles de Dim Seed, ce journaliste américain dont j’ai déjà parlé auparavant, celui qui voyage en Europe et qui enquête, plutôt que d’écrire simplement des comptes rendus. Peut-être est-ce l’aventure qui m’attire. Peut-être est-ce autre chose. Tout ce que je sais, c’est qu’il arrivera sans doute un moment où ma vie actuelle ne me satisfera plus. Je retourne à Shawinigan passer le temps des fêtes avec ma famille. Je te retrouverai à la nouvelle année. Prions pour un avenir radieux.
À la prochaine,
Rose