A Sarajevo, 800 000 habitants, capitale de l’état de Bosnie Herzégovine, qui recherche les traces de l’attentat déclencheur de la Première Guerre mondiale les trouvera dans un mouchoir de poche. À l’angle de l’ancien quai Appel (aujourd’hui Obala Kulina Bana), un large boulevard qui borde la rivière Miljacka et dessine le centre de la ville, s’élève un minuscule musée conservant armes, journaux d’époque, costumes militaires et objets personnels de Gavrilo Princip, un Serbe bosniaque de 19 ans qui tira sur l’archiduc d’Autriche et son épouse. Tout à côté, sur le Pont Latin, une plaque marque l’emplacement du double assassinat. Sur l’autre rive se trouve le Konak, le siège du gouvernement, où furent exposées les dépouilles du couple impérial avant le départ du convoi funèbre pour Trieste, puis Vienne. Aujourd’hui, sur le Pont Latin, de jeunes roms en sportwear sales vendent des poires, des prunes et du maïs grillé. En contrebas, la Miljacka roule des flots aux relents de lessive. Non loin, une pop sucrée et mélancolique sort d’un kiosque à musique au toit mauresque. Sous ses airs nonchalants, la ville se prépare aux commémorations internationales prévues le 28 juin 2014. Non sans mal, selon l’historien Nicolas Moll, installé ici : « la Bosnie-Herzégovine est très divisée sur la question. Cela reflète largement les divergences d’opinion entre la Fédération de Bosnie, majoritairement musulmane, et la République autonome serbe de Bosnie. Le gouvernement de la partie serbe a déjà annoncé qu’il refusait de s’associer aux festivités, les qualifiant d’anti-serbe. »
Remontons le temps. En 1914, Sarajevo est la capitale de la province austro-hongroise de Bosnie Herzégovine. Elle a été arrachée manu militari à l’empire ottoman déliquescent par les austro-hongrois en 1878, puis officiellement annexée en 1908. Le royaume de Serbie est son plus proche voisin. L’Autriche Hongrie, catholique, se méfie de ce riverain orthodoxe qui regarde vers la Russie. Sarajevo compte, à l’époque, 40 000 habitants : 15 000 musulmans, 10 000 serbes, 5 000 grecs orthodoxes, 5000 juifs et de 5000 catholiques autrichiens et croates. Ce 28 juin, les notables croates, les commerçants juifs, le maire Fehim efendi Curcic, attendent à la gare François-Ferdinand, 51 ans, accompagné de son épouse Sophie Chotek, duchesse de Hohenberg. En tant qu’Inspecteur général de l’Armée, l’Archiduc est venu superviser les manœuvres des 15e et 16e corps des forces austro-hongroises. Le général Oskar Potiorek, gouverneur de la province, l’accueille avec des présents : un kilim vert et bleu, un livre de contes hébreux, un crucifix en bois de rose et une gourde de slivovitz, une eau de vie à base de prunes. Chaque communauté a tenu à montrer son respect au souverain. Elles n’ont qu’à se féliciter du remplacement de l’administration turque par l’administration autrichienne qui a apporté le tramway, une centrale électrique, le chemin de fer, des usines, des hôpitaux, des musées. Six voitures et une sécurité minimum attendent les Altesses.
Les sept conjurés se séparent et s’embusquent tout le long du parcours de l’archiduc
Le couple impérial monte dans une automobile Graf und Stift immatriculée A-II-118. La capote a été baissé pour que la foule puisse acclamer l’archiduc et la duchesse. Le chauffeur, Leopold Sojka est prêt à démarrer en deuxième position dans le convoi. Tous les détails protocolaires et le parcours que doit emprunter le cortège sont publiés dans le Bosniche Post. Sept jeunes gens ont lu attentivement le quotidien. Ils se nomment Mehmed Mehemedbašić, Nedeljko Čabrinović, Veljko Čubrilović, Cvjetko Popović, Trifko Grabež, Danilo Ilić et Gavrilo Princip. Ils sont nés en terre bosniaque, six appartiennent à la communauté serbe, cinq ont moins de vingt ans et quatre sont tuberculeux. Ils font partie de « Jeune Bosnie », un groupuscule révolutionnaire et anarchiste qui rêve de créer une fédération regroupant les slaves du Monténégro, de Serbie et de Bosnie Herzégovine. Et ce 28 juin, ils ont décidé d’assassiner l’Archiduc.
Cette date est, pour eux, tout un symbole. C’est Vidovdan, la Saint Guy, jour funeste et sacré pour les Serbes. En effet, le 28 juin 1389, les seigneurs serbes furent défaits par les Ottomans à Kosovo Polje lors de la Bataille du Champ des merles, début de cinq siècles d’occupation turque. Bien qu’il s’agisse d’une défaite, les Serbes célèbrent cette date en raison de l’héroïsme dont firent preuve leurs guerriers. Les nationalistes de « Jeune Bosnie » sont nourris de ces récits médiévaux relatant le combat épique.
A huit heures du matin, sur le quai Appel, les comploteurs se séparent, chacun porteur de bombes au maniement complexe. « Chacune était longue de 15 centimètres, large de 5 cm et épaisse de 3 cm, explique Frédéric Guelton, historien des armées. Pour la mettre à feu, il fallait dévisser un bouchon métallique protégeant l’allumeur, le frapper contre une surface dure, geste qui provoque une petite détonation. Enfin, compter jusqu’à dix avant de lancer la bombe qui explose au bout de 12 secondes. L’acte demande du sang froid. » Gavrilo Princip, en plus de l’explosif, est armé d’un browning 38mm, qu’il a glissé dans un sac de toile à rayures. Enfin, chacun d’eux a du cyanure dans sa poche pour se suicider en cas de capture. Les conjurés se disséminent le long du parcours que doit suivre l’archiduc. Si l’un est arrêté, les autres prendront la relève. Le plus âgé, Mehemedbašić, posté en amont sur le quai, est le premier à voir surgir le cortège impérial, mais il ne parvient pas à lancer sa bombe. C’est au tour de Čabrinović, en embuscade un peu plus loin, contre un lampadaire. Lorsque le cortège arrive à sa hauteur, il panique : dans quel véhicule se trouve l’archiduc ? La deuxième ou la troisième ? La troisième voiture arrive à sa hauteur. Il arme sa bombe. Sojka, le chauffeur, confond le bruit de la mise à feu avec la détonation d’une arme. Il accélère. Čabrinović lance l’engin qui atterrit sur la capote repliée. Elle rebondit et explose sous le véhicule suivant, blessant une vingtaine de personnes. Son crime manqué, Čabrinović avale son cyanure. En vain : mal dosé, le poison provoque des brûlures de la gorge et de l’estomac mais n’est pas mortel. Il se jette alors dans la rivière. Il chute, 8 mètres plus bas, sur un banc de sable. A cette époque de l’année, en effet, le niveau de l’eau est trop bas pour qu’il puisse se noyer ou être emporté. Il est capturé en hurlant qu’il est un héros serbe.
“Dois-je m’attendre à d’autres bombes en guise de cadeaux ?” hurle François-Ferdinand
Les autres terroristes, jeunes et inexpérimentés, s’enfuient dans les rues de la ville. Seul Princip, après avoir entendu l’explosion, se dirige vers l’endroit où était posté Čabrinović. On imagine sa stupeur lorsqu’il voit son complice, plié en deux par les brûlures du poison, entraîné par des policiers. J’ai immédiatement compris qu’il avait échoué, racontera-t-il lors de sa déposition devant les enquêteurs. J’avais l’intention de le tuer rapidement d’un coup de revolver. A ce moment-là, le cortège passa devant moi. En effet, après s’être assuré que les blessés étaient secourus, l’archiduc a ordonné qu’on redémarre. Les véhicules roulent au pas mais, dans la cohue, il ne parvient pas à repérer François-Ferdinand, pourtant coiffé d’un casque orné de plumes d’autruches de couleur vertes ! Arrivé à l’hôtel de ville, François-Ferdinand s’en prend aux officiels. « Dois-je m’attendre à d’autres bombes en guise de cadeaux ? » hurle-t-il. Le général Potiorek lui suggère de se replier au Konak, siège du gouvernement. Mais l’ Archiduc refuse : il ira visiter les blessés à l’hôpital militaire. Pour s’y rendre, le cortège doit quitter le quai, tourner à droite à l’angle du Pont Latin et emprunter la rue François-Joseph. Elle est étroite, c’est désormais trop risqué. Potiorek propose un changement d’itinéraire. Le cortège restera sur le quai et bifurquera vers l’hôpital par une voie plus sûre. L’archiduc demande à Sophie de ne pas l’accompagner. Elle refuse. Son époux s’incline. En effet ce couple, fait rare chez les têtes couronnées, s’aime d’un amour vrai. Ce 28 juin est d’ailleurs la date anniversaire de leur mariage, une union prohibée par l’étiquette des Habsbourg, Sophie appartenant à la noblesse tchèque, mais pas à une famille régnante. En conséquence, elle n’a pas reçu le titre d’archiduchesse et leurs enfants n’ont aucun droit au trône, bien que François Ferdinand soit le successeur désigné par l’empereur François Joseph, 83 ans.
Une archive filmée montre le couple regagnant sa voiture, quelques minutes avant l’attentat décisif. Si le premier a été un échec, celui-là va être le fruit du hasard. La voiture, arrivée à hauteur du Pont Latin, tourne à droite. Le chauffeur n’a pas été informé du changement d’itinéraire ! Potiorek panique, il fait arrêter la voiture qui hasarde un demi-tour. Entre temps, la foule s’est amassée, curieuse de voir de près leurs Altesses. Il est environ 10h30. Gavrilo Princip, à cet instant, sort d’une boutique où il vient de s’acheter un sandwich. Lorsqu’il voit passer la voiture de l’archiduc, il se précipite et rattrape le véhicule au niveau du Pont latin. A moins de deux mètres du véhicule, il dégaine son Browning 38mm et tire. Ici, les versions divergent : la première balle traverse la porte du coupé et atteint la duchesse à l’abdomen, la seconde touche François-Ferdinand à la jugulaire. D’autres affirment cependant que l’Archiduc a été touché en premier et son épouse en second. La voiture fonce sur le pont en direction du Konak. Sophie s’effondre sur les genoux de son mari qui saigne de la bouche. Un des officiers présent entend l’archiduc murmurer : « Sophie, ne meurs pas, reste en vie pour nos enfants ! » Elle décède à 10 h 45 et François-Ferdinand à 11 heures. Aussitôt après avoir tiré, Gavrilo Princip absorbe le cyanure qui provoque le même effet vomitif. Les policiers que le maîtrisent lui évitent le lynchage par une population en colère. Potiorek devra même décréter l’état de siège pour mettre fin aux violences perpétrées par les Croates et les Musulmans. Des propriétés serbes, comme le luxueux hôtel Europa, seront saccagées. Un mois plus tard, l’Autriche déclare la guerre à la Serbie. En moins d’une semaine, par le jeu des alliances internationales et des ultimatums, le conflit devient mondial.
Le procès de Gavrilo Princip et de vingt-quatre autres coaccusés – Princip et Čabrinović, interrogés et torturés, ayant désigné leurs complices – s’ouvre le 12 octobre 1914 à Sarajevo. Sur les rares photos d’époque, le tribunal où ils comparaissent ressemble à une salle de classe vétuste. La guerre a commencé et le canon tonne à une soixantaine de kilomètres de là. Couvert d’hématomes et un bras cassé, Princip répond aux questions du juge Curinaldi, qui préside l’audience. Le principal accusé reconnaît les faits qui lui sont reprochés, affirmant avoir « tué un être malfaisant », dans l’intention de délivrer les Slaves du sud, les Yougoslaves, du joug autrichien.
Les accusés étaient proches de la Main noire, une société secrète voulant établir un État serbe
Les débats, bien que décousus, vont permettre de découvrir la personnalité de Gavrilo Princip et des membres de « Jeune Bosnie ». Ils appartiennent à la minorité serbe établie dans les montagnes bosniaques, creuset depuis des siècles des haines interethniques entre musulmans et orthodoxes. Croupissant dans la pauvreté, coupés de la Serbie, leurs popes ont exacerbé un nationalisme belliqueux. Les jeunes hommes pauvres étaient attirés par des sociétés occultes telles que la Main Noire. Princip en est l’archétype. Il naquit le 28, ou le 25 juillet 1894, dans la vallée de Grahovo, au nord est de la Bosnie, près de la frontière croate. Fils d’un facteur et d’une mère femme au foyer, il contracte la tuberculose très jeune. Il fait preuve de dons intellectuels rares. À six ans, il écrit de la main gauche en cyrillique et de la droite en alphabet latin. Gavrilo Princip étudie à Sarajevo l’histoire et les lettres, il publie des poèmes, lit Bakounine, le théoricien de l’anarchisme, et les mythes balkaniques. Le 21 juin 1911, allongé sur un banc proche du Pont Latin, il a la vision d’une mission héroïque. Les faits qui suivent sont établis par les accusés durant leur procès. Princip s’est rendu à Belgrade en 1912. Il y a rencontré le colonel Dragutin Dimitrijević, surnommé Apis, un des fondateurs de la Main noire. Cet officier serbe, spécialiste du renseignement militaire, prône le combat contre les deux empires, le turc et l’austro-hongrois. En 1903, il a participé au meurtre particulièrement sanguinaire du roi Alexandre Ier de Serbie et de la reine Draga. En 1911, il a comploté pour assassiner, à Mostar, l’empereur François-Joseph. Dans son bureau de Belgrade, Apis accueille plusieurs fois Gavrilo Princip, lui offre des livres de poésie, un revolver. Et quand il apprend la visite de François-Ferdinand à Sarajevo, il le persuade de fomenter l’attentat et leur fournit des armes et des bombes. Ces liens entre l’Etat serbe et les assassins de l’archiduc et de la duchesse sont au cœur du procès. Pour les Autrichiens, aucun doute : les tueurs ont été armés par Belgrade. C’est aller vite en besogne, tempère aujourd’hui le professeur Zjas Sehic, spécialiste de l’attentat de 1914. La Main noire, basée à Belgrade, a fourni les armes aux assassins. Mais elle ne représentait en rien la Serbie. Cette organisation extrémiste a voulu faire pression sur le gouvernement serbe pour le contraindre à entrer en conflit avec l’Autriche. En effet, si un certain major Tankosic, l’homme de confiance d’Apis, leur a fourni armes et bombes, lorsque Nikola Pašić, le chef du gouvernement de Serbie, est informé des menées d’Apis, il tente désespérément d’arrêter les comploteurs à la frontière. Pašić est terrifié par ce qui pourrait advenir, mais il est trop tard, le groupe est déjà en position à Sarajevo. En 1917, Apis sera fusillé pour avoir fomenté un coup d’état contre le gouvernement parlementaire serbe. Concernant l’attentat de 1914, Apis aurait-il été téléguidé par une puissance étrangère ? C’est la question que l’opinion se pose lors du procès. En octobre, on est déjà de plain-pied dans la guerre. Les théories du complot se multiplient. Ainsi, pourquoi le cyanure était-il frelaté ? Aurait-on laissé ces gamins vivants afin qu’ils parlent ? Et dans l’intérêt de qui ? Certains incriminent les Autrichiens proches de Berchtold, heureux de se débarrasser d’un héritier du trône trop mou à leurs yeux … puis les Allemands, puis les Hongrois, puis la franc-maçonnerie. L’accusation la plus sérieuse fut portée contre la Russie de Nicolas II. Apis aurait financé les meurtriers grâce à huit mille roubles fournies par le colonel Artamanov, attaché militaire russe à Belgrade, lui même ami de Sergueï Dimitrievitch Sazanov, ministre des Affaires étrangères de la Russie Impériale. Cet Artamanov aurait informé Apis de la venue de l’archiduc à Sarajevo quelques mois avant que la nouvelle ne soit officielle. Pour Jean-Jacques Becker, spécialiste de l’année 1914, l’hypothèse ne tient pas. Les Autrichiens ont eu entre les mains les archives serbes lorsqu’ils occupaient Belgrade. Ils n’ont rien trouvé sinon ils l’auraient bruyamment fait savoir. Quoi qu’il en soit, dans ses réquisitions, le procureur Franjo Svara fustige la Serbie, accusé d’avoir « monté la tête à ces enfants » et réclame la peine capitale contre les accusés. Le verdict tombe le 28 octobre. Ce jour-là, les juges firent leur apparition dans la salle du tribunal entièrement vêtus de noir, ce qui signifiait que les accusés étaient condamnés à la peine de mort. Mais, selon la loi autrichienne qui veut qu’un coupable de moins de vingt ans ne puisse être exécuté, Gavrilo Princip, comme Čabrinović, Grabež, Čubrilović et Popović, voient leur peine commuée à vingt ans de prison pour les trois premiers, et seize ans pour les autres. Princip, Čabrinović, et Grabež sont envoyés dans la citadelle de Theresienstadt, au nord de Prague. Dans cette immense forteresse de pierre grise, les trois jeunes terroristes vont connaître un sort pire, peut-être, que la mort. Grâce aux recherches d’un historien thèque, Miroslav Kryl, on connaît les détails de leur calvaire. Affamés, enfermés dans des cachots glacés (alors que tous les trois étaient déjà tuberculeux), séparés les uns des autres, les trois détenus portent aux pieds et aux mains des chaines de 10 kg, jusqu’au 2 décembre 1915. Čabrinović et Grabež en sont débarassés, mesure de clémence pour célébrer l’anniversaire du couronnement de François-Joseph, empereur d’Autriche-Hongrie. Seul Princip reste aux fers jusqu’en février 1916. Le tueur a même droit à un « traitement de faveur » : l’isolement complet, ni journaux, ni livres et interdiction de lui adresser la parole. En 1917, son état de santé se dégrade au point qu’il faut l’amputer du bras gauche. Il succombe à la tuberculose et aux mauvais traitements le 28 avril 1918.
Après la Seconde Guerre mondiale, Tito fait de Gavrilo Princip un héros national
Mort, Gavrilo Princip va cependant connaître une seconde vie. Il est d’abord enterré dans une tombe anonyme, près de la forteresse de Theresienstadt, où reposent déjà Čabrinović et Grabež, morts de faim et de tuberculose en 1916. Le gouvernement austro-hongrois a demandé que le lieu de sa sépulture reste secret, mais Loebl, un soldat tchèque, note l’emplacement. En 1920, les dépouilles des trois hommes sont exhumés, et le squelette de Princip facilement identifié par l’absence de bras gauche. Leurs restes sont ramenés à Sarajevo, au cimetière de Saint Marc. Ils deviennent alors les « Martyrs de Vidovdan ». Après la Seconde Guerre Mondiale, le régime communiste du Maréchal Tito fait de Gavrilo Princip un héros national, l’incarnation de la lutte de la Yougoslavie face à ses oppresseurs. En 1953, Tito inaugure le musée de l’attentat. Aujourd’hui, les Martyrs de Vidovdan ont toujours leur chapelle au cimetière Saint Marc qui jouxte le stade édifié pour les jeux olympiques de l’hiver 1984. On accède au cimetière en traversant un marché niché sous une bretelle autoroutière. Loin du centre cosmopolite de Sarajevo, l’ambiance y est plus lourde. Musulmans et serbes vaquent à leurs affaires, offrant les uns aux autres des visages éteints et inexpressifs. Durant le siège de Sarajevo, de 1992 à 1996, la chapelle des martyrs de Vidovdan, symbole serbe par excellence, fut volontairement transformée en toilettes publiques par les assiégés musulmans. Le petit musée du Pont Latin fut, lui, mis à sac en 1992. Arrachée, la plaque indiquant le lieu de l’attentat fut reposée dix ans plus tard. Ces remugles haineux effraient Mak Radic, un étudiant en histoire de 26 ans qui a été mon guide jusqu’au cimetière. Il arbore un t-shirt rouge à l’effigie du Maréchal Tito. Cet enfant de la guerre de 1991 ausculte d’un regard triste la chapelle verrouillée à double tour. Gavrilo ? Un pauvre gosse instrumentalisé. Ici, chacun a toujours une revanche à prendre. Les haines rancies sont manipulées comme elles l’ont été en 1914. L’histoire ne nous a rien appris. Si la communauté internationale n’était pas ici depuis la fin de la guerre de 1991, je pense que nous nous entretuerions à nouveau avec joie. Dans Sarajevo, les coups de feu tirés par le Browing 38mm de Gavrilo Princip, un 28 juin à 10h30, n’en finissent pas de résonner.